This is my story
Angus prit une profonde inspiration. Il se recroquevilla dans la ruelle au sein de laquelle il s'était réfugiée, présence solitaire. Il avait été abandonné. Encore une fois. D'abord, il y avait eu ses parents biologiques. Effrayés par le bébé aux yeux entièrement noirs auquel ils avaient donné naissance. Un mutant, il n'y avait pas de doute à avoir là-dessus.
Il avait été adopté, mais les humains qui l'avaient éduqué s'étaient toujours assurés qu'il ait conscience de ce qu'il leur devait, des sacrifices qu'ils avaient fait pour lui. Quels sacrifices ? A l'époque, il n'était qu'un gamin aux yeux noirs. Un mutant sans pouvoir autre qu'une apparence qui invoquait le malaise. Ils ne prenaient aucun risque en l'élevant, en s'occupant de lui. A un détail près, Angus ressemblait à n'importe quel humain.
Ils avaient fait le nécessaire pour dissimuler sa différence, lui reprochant de ne pas supporter les lentilles de contact. En permanence, Angus devait porter des lunettes aux verres teintées, des lunettes de soleil, tout pour cacher ce qui faisait de lui un mutant indéniable depuis sa naissance. Il avait vécu dans la honte, une honte entretenue par ses parents, ses camarades, les personnes qui constituaient son entourage.
Il se rappelait encore du sermon du prêtre de son village, qui prêchait aux enfants de ne pas succomber à la tentation du péché, sous peine de voir la vilenie de leur âme se refléter dans leur regard, comme cela était le cas pour lui. Pourtant, Angus n'avait rien d'un voyou ou d'une mauvaise graine. Il se défendait quand on l'attaquait, mais il n'était jamais le premier à donner les coups. Il voulait juste qu'on lui fiche la paix, qu'on le laisse dans sa solitude et ses livres.
Mais dans un village comme le sien, aux moeurs si conservatrices, un mutant comme l'était Angus, ça ne passait pas. Sa particularité inoffensive les "invitait"à le martyriser, lui, la créature dont ses propres parents n'avaient pas voulu. S'il avait eu un pouvoir offensif, les gamins du coin n'auraient probablement pas été aussi désireux de le punir pour sa différence...
La vengeance est un plat qui se mange froid. Comme une épiphanie, son pouvoir s'était dévoilé dans son entièreté à ses douze ans. Angus s'était infiltré dans le corps de celui qui le maltraitait, prenant contrôle de ses membres. Frappant ses camarades, courant tête la première contre un mur, il lui avait fait subir tout ce qu'il aurait souhaité lui rendre durant toutes ces années...
A cet instant-là, Angus avait été
craint. Et le jeune adolescent aurait probablement apprécié la situation s'il n'était pas aussi effrayé par sa capacité, sur laquelle il n'avait pas le moindre contrôle. Sans ses lunettes, il courrait le risque de posséder n'importe qui, sans savoir quand il allait pouvoir quitter le corps qu'il avait envahi, danger pour lui-même et pour les autres.
Son pouvoir avait déjà eu une conséquence funeste, Angus étant entré malgré en lui en possession du prêtre et n'ayant été en mesure de quitter son corps que lorsqu'il avait succombé à sa présence, en proie à une fièvre atroce et d'autres symptomes tout aussi terribles.
Quand le Professeur Xavier était venu le trouver, Angus ne quittait plus le seuil de sa maison et était évité par tous. Lorsqu'il lui avait demandé de retirer ses lunettes, le garçon s'était exécuté bon gré mal gré, avant de constater que le professeur pouvait repousser sa présence. Angus en avait été émerveillé. Un homme était capable de résister à son pouvoir, à son regard.
Il n'avait pas hésité un seul instant lorsqu'il lui avait proposé de le suivre. Abandonner son pays ? Sa famille ? Tout ce qu'il connaissait ? Rien ne pourrait faire plus plaisir à Angus. Alors, il était parti, en route vers une nouvelle vie.
Il avait appris à se contrôler, à choisir qui posséder, pour combien de temps, à définir ses possibilités et ses limites. Ce pouvoir qu'il avait tant haï, il avait commencé à l'aimer. Avec lui, il pouvait obtenir tout ce qu'il voulait de n'importe qui. On ne pouvait plus lui faire de mal. Le personnel tenta de lui inculquer la retenue, la mesure, mais Angus était un adolescent meurtri, blessé par la vie. Et sa plaie ne serait que plus béante lorsque l'Institut ferma ses portes en 2001.
Angus avait 18 ans. Un coeur empli de colère pour ceux qui l'avaient recueilli pour mieux l'abandonner. Se refusant à retourner dans son pays, il avait entamé une vie d'errance. Survivre dans la rue était aisé avec un pouvoir comme le sien. Il lui suffisait de posséder quelqu'un qui venait de taper son code dans un ATM, de lui faire retirer tout son argent et de s'en emparer. Avec ça, il pouvait se payer toutes les chambres d'hôtel qu'il souhaitait.
Mais Angus aimait la rue, croiser ceux qui la peuplaient, les dangers de la nuit. Il s'amusait à prendre ombrage de toute personne qui osait être heureux en sa présence, cédant à son désir dévorant de les
posséder et de se venger de ce bonheur dont ils disposaient et auquel il n'avait pas droit lui-même.
Il était entré en possession d'une centaine, peut-être d'un millier de personnes au cours de ces dernières années. Il les avait fait subir la peur, la terreur, la colère d'autrui, un châtiment pour des délits qu'ils avaient commis sous son emprise. Plus il faisait son usage de son don, plus Angus perdait son sens moral, sa notion du bien et du mal. Il voulait qu'ils souffrent. Il voulait leur faire
payer.
Parfois, il l'avait fait pour se défendre, mais cette occurrence était devenue de plus en plus rare. La dernière fois, c'était pour se préserver de cet homme qui avait voulu le braquer, un couteau à la main. Angus l'avait possédé sans hésiter, le manipulant pour qu'il plante son couteau dans la jambe. Il avait ressenti toute la douleur qui traversait le corps de l'homme, une manière pour lui de se sentir vivant, de se sentir présent.
Lorsqu'il avait regagné son corps, l'homme avait tenté de le tuer, dans un acte de panique désespéré. Alors, Angus l'avait possédé une nouvelle fois et l'avait forcé à se trancher la gorge. La mort subite de son hôte l'avait forcé à réintégrer son corps. Deux épisodes de possession brusques, trop rapprochés. Il avait perdu la vue pendant plusieurs jours, incapable de faire usage de son pouvoir, manquant de succomber à la faim, au froid, aux dangers de la rue.
Angus n'était pas invincible, il le savait. Recroquevillé dans sa ruelle, il ressassait les événements, encore et encore, ce qu'il venait d'accomplir, ce qui lui avait enfin fait prendre conscience des atrocités qu'il avait commises, de la personne qu'il était devenu. Malmené par un passant, il avait suivi ce dernier jusqu'à lui. Il ne l'avait pas possédé immédiatement. Angus voulait prendre son temps, faire mijoter sa revanche, lentement, progressivement.
Quand l'homme était rentré chez lui, Angus avait attendu la nuit tombée pour sonner à la porte et le posséder à l'instant même où il avait franchi le seuil de sa maison. Il avait alors fouillé ses affaires, trouvant rapidement ce qu'il cherchait : son arme. Bénis soient les américains et leur amour pour leurs revolvers et autres flingues...
Il ne savait pas ce qui le poussait à faire ça. Peut-être voulait-il expérimenter ce que cela signifiait, mourir de cette façon. Peut-être souhaitait-il inconsciemment subir le même sort, s'effacer, se détruire, cesser de vivre avec le poids qui pesait sur son être, sur son âme, la solitude qui l'étouffait. Lentement, il avait pressé sur la détente. Il avait juste eu le temps d'entendre un
"Papa ?" terrifié avant que le coup ne parte. Que la mort ne le saisisse. Qu'il ne retourne à son corps, horrifié, conscient de ce qu'il venait de faire, du crime qu'il venait de commettre.
Angus se recroquevilla à nouveau sur lui-même, frissonnant sous les gouttes de pluie qui s'étaient mises à tomber dans la nuit profonde. Qu'avait-il fait ? Qu'avait-il fait ? La question tournait et tournait dans sa tête. Il repensait à chacun de ses crimes, avec ce simple mot apposé sur chacune de ses pensées : pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ?
Parce qu'il pouvait le faire. Parce qu'il n'éprouvait rien pour ces gens, sinon de la haine et de la rancoeur. Parce que le prêtre de son village avait eu raison. Parce qu'il était
vil. Il aurait pu se donner la mort, mais cela n'aurait jamais racheté le mal qu'il avait fait. Les vies qu'il avait gâchées, ruinées, prises, sans la moindre considération, la moindre empathie.
Alors, Angus avait pris sa décision. Celle d'emprunter le chemin de la rédemption. Et ce chemin allait le pousser à franchir encore une fois les portes de l'Institut, qui était à nouveau ouvert depuis trois ans.
*
Cela n'avait pas été facile de gagner la confiance de Xavier, de trouver sa place. Il ne pouvait rien cacher à l'homme des atrocités qu'il avait faites, mais son désir de racheter était également là, pulsant dans son âme comme une dernière forme d'espoir, le souhait ultime de retrouver la lumière.
Cinq années, il avait été à nouveau étudiant, malgré son âge. Il avait lutté contre son addiction à son pouvoir, contre ses pulsions. Il avait étudié, avec zèle, avec acharnement. Il s'était pris de passion pour la philosophie, la morale, tout ce qui pouvait l'aider à faire sens à ce qui se passait dans son crâne, dans la tête d'autrui, dans la société au sein de laquelle il devait trouver sa place.
Et enfin, on lui avait offert l'opportunité d'être professeur. D'enseigner à son tour. Cette marque de confiance ultime, Angus ne voulait pas la trahir. Il avait repoussé derrière lui son sombre passé, la noirceur de son âme, pour guider à son tour ceux et celles qui avaient besoin de leur aide.
Mais la rédemption était un chemin long, difficile à emprunter et si aisé à quitter. A une époque comme la leur, entouré de la haine du président et de ceux qui le suivaient aveuglément, Angus saurait-il résister au doux appel de son pouvoir ?